Grippe aviaire : une crise de pilotage

Publié le par RR

 
 
Grippe aviaire : une crise de pilotage

.04/ nov/ 2005

Après le tsunami et le réveil des Etats que dut sonner l'ONU, après Katrina et ses fiascos politico-organisationnels, nous voici aux prises avec la menace de pandémie grippale. Septembre a été le mois des cris d'alarme - pandémie de 1918 -, octobre est celui des dénonciations : « irresponsabilité économique », « précautions politiques », « cirque médiatique ». Le risque n'est pas nul d'en arriver bientôt, comme sur maintes crises actuelles, à un cynisme spécifique se recombinant avec une rupture générale de la confiance. Le bourbier avant même l'éclosion de la maladie.

Le problème n'est pas celui du dossier technique - la possibilité de pandémie existe bel et bien - ni celui des plans : il est heureux que l'on y travaille d'arrache-pied. La vraie question est celle du pilotage. Nous sommes en panne de méthode de gouvernance, dans nos sociétés de plus en plus confrontées à des risques et des crises non conventionnels. Ce sont des défis déroutants pour lesquels il n'existe, à ce jour, aucune préparation des décideurs, des experts, des médiateurs et des citoyens.

La grippe aviaire, comme nombre de crises émergentes, a pour coeur des discontinuités brutales. Tout est suspendu à un phénomène de mutation. Un terrain hautement propice à la contagion de la moindre turbulence : nos sociétés sont faites d'ensembles interconnectés, interdépendants, favorisant les effets dominos ultrarapides.

Fondamentalement, nos cultures scientifiques ressentent un profond malaise face à ces réalités : « La science s'intéresse aux régularités, la singularité relève de l'art », selon la formule de l'historien des sciences américain Alvin Weinberg. De même, nos cultures de management sont forgées pour établir des procédures, non pour l'irrégularité et le désordre. Quant à nos cultures décisionnelles, elles préparent à tout sauf à exercer un pilotage en univers instable et illisible : elles sont focalisées sur des séries de réponses validées, quand l'essentiel est désormais de discerner quelles questions il convient de se poser, pour agir avec qui, sur la base de quelle posture.

Deux générations se combinent ici. L'ancienne, « bunkérisée » dans un certain nombre de références suicidaires comme l'évitement - on plaide que « rien n'est encore avéré » -, l'illusion de solutions techniques miracles - on met en avant tel produit, tel plan, telle règle simple qui se révéleront totalement décalés -, la terreur de la « panique » des populations - on souligne de façon obsessionnelle qu'il s'agit de « rassurer » (rappelons-nous le nuage de Tchernobyl). La nouvelle, sur le mode pulvérisé. L'expert technique livre des diagnostics, avec le risque de le faire sur le registre « après moi le déluge ». Le politique tente de trouver une voie entre « transparence », « réassurance », et « surenchère dans l'angoisse » pour ne pas être distancié par l'expert ou le journaliste. Le secteur économique est largement absent. Le tout s'organise sur une scène médiatique où se mélangent la logique d'information et celle du divertissement (voire du reality show), le sérieux et l'effet de manche, la prime donnée à l'anxiogène et au morbide, à la formule qui tue, mine, ou déstabilise. Même si chacun s'efforce de faire au mieux, la combinaison générale, après trois semaines d'administration du cocktail sur les petits écrans, renforce la dynamique générale de discrédit.

Il est urgent de reprendre les rênes. On peut déjà inscrire les quelques exigences suivantes à notre tableau de bord.

L'implication des dirigeants : face à des enjeux désormais vitaux, risques et crises majeures doivent être suivis par le plus haut niveau de nos organisations. Cela suppose la préparation accélérée des comités exécutifs et des présidents, des directions d'administrations centrales et des ministres aux crises les plus complexes, bien au-delà des traditionnelles séances de « media-training ». C'est parce qu'il s'impliquait personnellement sur ces questions essentielles que le maire de New York, qui avait participé à des exercices de crise comme celui d'une attaque chimique sur sa ville, a pu faire face et insuffler la confiance nécessaire en septembre 2001, après les attenttas du 11 septembre : « Il eut plus de confiance envers nous que nous n'en avions envers nous-mêmes. »

L'intelligence des situations : pour éclairer les dirigeants engagés sur des terrains aussi imprévisibles, il est nécessaire de disposer de cellules de réflexion précisément entraînées à ces grammaires non conventionnelles. Quelques grandes entreprises de réseaux vitaux (informatique, télécom...) ont commencé à se doter de pareils appuis.

La mobilisation des citoyens : les « crises de texture », qui affectent en profondeur la « fabrique de la société », se gagnent sur le terrain, appellent l'implication d'une infinité d'acteurs. Le citoyen doit être placé au centre. Et le tout doit s'inscrire dans une vision positive, non de suspicion généralisée. C'est par la netteté précoce dans l'énoncé des enjeux, la franchise sur l'impossibilité d'établir à l'avance le script de la crise, l'exemplarité personnelle dans la mobilisation, que l'on saura convaincre, encourager et mobiliser.

Le véritable front des crises d'aujourd'hui est celui du rétablissement de la confiance face à des chocs qui sont de l'ordre de l'inconcevable. Un dirigeant ne peut plus être un simple gestionnaire de patrimoine. Il doit être un anticipateur de crises majeures. Alors, il sera en meilleure posture pour appeler le citoyen à s'engager - lui aussi - dans une démarche de lucidité responsable. Alors, le médiatique pourra plus aisément jouer son rôle éminent d'information.

XAVIER GUILHOU ET PATRICK LAG ADEC sont spécialistes des crises non conventionnelles, auteurs de « La Fin du risque zéro », Eyrolles et les Echos Editions, 2002.

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Publié dans Santé

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R
Bravo pour cette source. <br /> je cite "Deux générations se combinent ici. L'ancienne, « bunkérisée » dans un certain nombre de références suicidaires comme l'évitement - on plaide que « rien n'est encore avéré » -, l'illusion de solutions techniques miracles - on met en avant tel produit, tel plan, telle règle simple qui se révéleront totalement décalés -, la terreur de la « panique » des populations - on souligne de façon obsessionnelle qu'il s'agit de « rassurer » (rappelons-nous le nuage de Tchernobyl)."<br /> Oui et bien cette catégorie de personnes, je l'ai entendue dans l'émission de Yves CALVI sur FRANCE 2, il y a jours et je ne citerais personne......
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