L'abus de finance nuit à l'actionnaire

Publié le par RR

L'abus de finance nuit à l'actionnaire
 
JEAN-LOUIS AMELON
article paru dans les Echos

"La nouvelle logique financière qui s'est imposée depuis les années 1990
avec la montée en puissance des investisseurs institutionnels constitue
une transformation majeure dès lors qu'en concentrant le pouvoir, les
fonds d'investissement sont à même d'exiger une rentabilité élevée.
Le paradoxe est que la " financiarisation " censée favoriser l'intérêt des actionnaires peut aboutir au résultat inverse.
 
L'indicateur de rentabilité de référence est souvent le " return on equity " (RoE) auquel est assigné un objectif de 15 %. Le RoE est le ratio du résultat net d'impôts rapporté à la valeur des fonds propres comptables.
Ratio comptable, le RoE n'échappe pas à la suspicion de manipulation. Face à une forte exigence de rentabilité, la tentation de " créativité comptable " existe : réduire comptablement les capitaux propres rend l'objectif plus aisé à atteindre.
Le taux, indépendant du secteur et de la stratégie, n'a aucune justification. La théorie financière enseigne que le rendement d'un actif se compose de deux termes : le rendement d'un actif sans risque et une prime de risque fonction des caractéristiques du titre. Il n'y a pas un taux de rentabilité unique mais des taux de rentabilité fonction des risques des actifs.
Un taux de rentabilité de 15 % n'est pas soutenable alors que la croissance économique se situe autour de 3 %. Il conduit à éliminer des projets rentables et créateurs de valeur. Par crainte de décevoir le marché, les dirigeants n'osent plus prendre de risques. Il y a panne de projets, l'entreprise distribue des dividendes et investit moins.
 
Pour atteindre l'objectif de rentabilité demandé par le marché, le management peut agir sur le numérateur, le résultat d'exploitation et sur le dénominateur. L'amélioration du résultat d'exploitation s'obtient en diminuant les dépenses ou en augmentant les recettes.
Les réductions de coûts sont plus fréquentes que les augmentations de recettes. Contraintes de s'adapter au nouvel environnement concurrentiel, les entreprises ont engagé le mouvement de rationalisation de leurs coûts depuis une quinzaine d'années.
Si nécessaire soit-il, le " downsizing " ne suffit pas à créer durablement de la valeur. Comportement défensif, il n'insuffle pas la dynamique de prospérité permettant la mobilisation du personnel.

Le risque est même d'entrer dans une spirale récessive :
la réduction drastique des dépenses de R&D ou de marketing, si elle améliore vite le résultat, affaiblit aussi l'entreprise sur ses marchés, ce qui entraîne une baisse des performances puis des restructurations.
 
Le vrai levier de création de valeur reste la croissance de l'activité : focalisation sur les activités et les clients les plus rentables, identification de nouvelles opportunités de croissance... Plus aléatoires que les réorganisations et les restructurations, les résultats de cette stratégie mobilisatrice ne sont pas très compatibles avec l'horizon " court-termiste " du management par la valeur.

Le management par le dénominateur vise à réduire le capital engagé. Les taux d'intérêt étant actuellement bas, le coût de la dette est inférieur à celui des fonds propres. S'endetter permet de réduire le coût des capitaux.
La logique de réduction des fonds propres conduit parfois à financer le rachat de ses actions par endettement. Or, un niveau élevé de dettes constitue un risque en cas de retournement conjoncturel.
Si les actionnaires peuvent provisoirement ne pas percevoir de dividendes, les intérêts de la dette devront toujours être payés. Avec l'augmentation du risque, les crédits bancaires deviennent plus chers et moins faciles. Après avoir été fortement incitées à s'endetter, certaines entreprises se retrouvent alors paralysées par le poids de leurs dettes. Les faits infirment l'effet bénéfique de l'endettement : les entreprises les plus performantes sont aussi les moins endettées, la relation entre endettement et profitabilité est inverse.
 
L'exigence de taux de rentabilité irréalistes et la focalisation sur la création de valeur actionnariale ont contribué à donner un poids excessif aux critères financiers et au " court-termisme " dans le pilotage des entreprises.
 
A trop exiger de richesse pour l'actionnaire, le risque est d'inciter à la " créativité comptable ", à rejeter des projets créateurs de valeur, à fragiliser la structure financière des entreprises, à sacrifier le long terme.
 
Les actionnaires, les retraités par exemple, soucieux de préserver une rentabilité sur le long terme, pourraient ne pas y trouver leur compte.
 
Dans leur intérêt comme dans celui des autres parties prenantes de l'entreprise, le pouvoir des actionnaires devrait être contrebalancé par celui d'autres acteurs plus attentifs aux perspectives à long terme : salariés, managers, créanciers."


JEAN-LOUIS AMELON est directeur de FMCE.
site de 1ère parution Les Echos 
 

Publié dans Entreprise

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