Délocalisations et Emploi en France, que faire ?

Publié le par RR

DÉLOCALISATIONS ET EMPLOI EN FRANCE, QUE FAIRE ?
 
Un article de Catherine MATHIEU ET Henri STERDYNIAK
 
paru dans la Lettre de l’ Observatoire français des conjonctures économiques
numéro 264 Juillet 2005
 
extrait
 
Trois stratégies de politique économique
 
«Selon les libéraux,
la désindustrialisation est une évolution normale. Aucune politique publique n’est nécessaire. Par contre,l’Europe souffre de rigidités en matière de réglementation du marché des biens, de droit du travail et du licenciement, de niveau des salaires ; les dépenses publiques, en particulier celles de protection sociale, pèsent lourdement sur le secteur concurrentiel. Il faut réformer le modèle social européen et laisser les salaires s’ajuster. Rien ne garantit que l’équilibre obtenu sera socialement acceptable ; mais il n’y a pas d’alternative. Cette stratégie suppose une forte croissance des inégalités. Comment justifier des baisses de salaires et de protection sociale par une mondialisation censée être bénéfique à tous ?
 
Selon les innovateurs,
la France doit monter en gamme en soutenant les secteurs performants et innovants, dont le développement compensera les pertes d’emplois dans les secteurs à bas salaires. On peut distinguer deux approches.
 
La première, celle de la stratégie de Lisbonne, plaide pour une stratégie de sortie par le haut, consistant à faire de l’économie européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Les États doivent créer un environnement favorable, sans aider des entreprises ou des secteurs en particulier. Il s’agit de concurrencer les États-Unis et non la Chine, d’exporter vers des marchés porteurs (en Asie et dans les pays émergents), de se spécialiser dans des secteurs à forte valeur ajoutée. Il faut consacrer davantage de ressources à la recherche et développement (R&D), l’éducation et la formation. Des réformes structurelles doivent inciter à la mobilité, à l’innovation, à la prise de risque, à la concurrence par la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.
Bien qu’elle semble faire consensus, cette stratégie soulève de nombreuses questions. Les économies européennes peuvent-elles accepter la disparition des industries traditionnelles, les plus intensives en travail, et se concentrer sur des activités à haute valeur ajoutée, qui utilisent un nombre limité d’emplois qualifiés ? Peut-on promouvoir l’éducation et la recherche technologique dans une société dominée par la recherche de la rentabilité financière ? Peut-on garantir aux jeunes qui s’engagent dans des études technologiques qu’il y aura encore une industrie en Europe dans dix ans ? Comment distinguer entre les innovations utiles à un niveau macroéconomique, qui permettent de développer la production et l’emploi, et les innovations, dangereuses en période de chômage de masse, qui réduisent l’emploi des non qualifiés ? Les pays européens doivent-ils inciter leurs entreprises à se développer en priorité sur les marchés extérieurs, au risque de les voir s’y délocaliser ?
 
Selon plusieurs rapports français récents, des aides publiques spécifiques sont nécessaires. Ainsi, le rapport Roustan (2004) suggère que l’État devienne un État stratège qui pilote (et finance) la recherche et les innovations. Le rapport Grignon (2004) propose « un néo-colbertisme européen ». Le rapport Beffa (2005) préconise de lancer des programmes de promotion de l’innovation industrielle. Grandes entreprises, chercheurs, experts et fonctionnaires définiraient des secteurs innovants (tels que la filière hydrogène, les biocarburants, le traitement des maladies dégénératives) ; les grandes entreprises recevraient des subventions pour impulser la R&D dans ces domaines et constituer des réseaux incluant des PME.
En 2005, le gouvernement a créé une Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour financer des recherches scientifiques et techniques. Une Agence de l’Innovation Industrielle sera créée selon les préconisations du rapport Beffa. Enfin, l’État financera des « pôles de compétitivité », qui rassembleront des universités, des centres de recherche publics ou privés, des petites et grandes entreprises, pour investir dans la production de biens de haute technologie. Toutefois, en raison des règles communautaires, les aides sont plafonnées. Un budget de 750 millions d’euros avait été prévu pour une quinzaine de projets. Cent cinq candidatures ont été déposées, ce qui montre qu’il existe des possibilités de redynamiser l’innovation industrielle. Il faut espérer que cet élan ne sera pas perdu, que le budget sera élargi et le nombre de projets retenus plus important que prévu.
 
Les  archaïques
pensent qu’il faut aider spécifiquement l’emploi des travailleurs non qualifiés. La stratégie d’augmentation du niveau d’éducation et de formation de la main-d’œuvre a des limites : un grand nombre d’actifs sont difficilement qualifiables.
 
Pour les uns, il faut subventionner les secteurs et les entreprises en difficulté, les régions ou les bassins d’emplois particulièrement frappés ; ceci est moins coûteux que de verser des prestations chômage. Il faut maintenir un certain protectionnisme, lutter contre les inégalités de concurrence. Le budget 2005 a instauré deux mesures dans ce sens en versant des aides aux entreprises qui réimplantent en France des activités réalisées en dehors de l’Union européenne et aux entreprises installées dans des zones exposées aux délocalisations, c’est-à-dire connaissant un taux de chômage élevé et une forte spécialisation industrielle. Aller audelà suppose un changement de la politique de la Commission, qui limite strictement de telles aides.
 
Pour les autres, il faut aider les salariés non qualifiés sans interférer directement avec les choix de production. Cette stratégie est mise en œuvre, depuis 1993, par la réduction de cotisations sociales sur les bas salaires et depuis 2001 par la PPE, qui augmente le revenu disponible des travailleurs proches du SMIC. Elle incite les entreprises à utiliser des travailleurs non qualifiés (en particulier dans les services), mais favorise aussi le maintien d’entreprises de main-d’œuvre en France. Elle permet de dissocier le coût du travail non qualifié du revenu des salariés non qualifiés. Mais elle incite les entreprises à développer une catégorie spécifique d’emplois, à bas salaires et sans perspectives de carrière. Elle tire vers le bas une partie importante des salaires.
 
Certains préconisent de développer l’emploi dans des services non délocalisables comme le tourisme, les hôtels-cafésrestaurants, les services aux particuliers : « il suffirait que chaque famille consomme trois heures de ces services par semaine pour créer deux millions d’emplois » (Cahuc et Debonneuil, 2004). Mais ce projet est peu réaliste ; il se heurterait à des habitudes sociales ; les jeunes sont réticents à s’engager dans ces professions, qui se pratiquent à temps fragmenté et n’offrent guère de possibilités de promotion. Il nécessite un fort creusement des inégalités de revenus pour qu’une partie de la population fasse effectuer ses tâches ménagères par l’autre. Faut-il des incitations financières supplémentaires qui profiteraient essentiellement aux plus aisés ?
 
Le rapport Grignon (2004) met en avant une mesure préconisée de façon récurrente en France : remplacer une partie des cotisations sociales employeurs par des points de TVA. Ceci permettrait de faire financer les prestations sociales par les dépenses de consommation (et plus précisément par les importations) au lieu des salaires et fournirait donc des gains de compétitivité. En fait, la compétitivité ne serait améliorée que si l’augmentation des prix des biens de consommation importés, résultant de l’augmentation de la TVA, n’avait aucun impact sur les salaires, en d’autres termes si les salariés acceptaient une baisse de leur pouvoir d’achat. Il n’y a pas de réforme fiscale miracle qui fournisse des gains de compétitivité sans effort.
 
 
Stratégies nationales ou stratégie européenne ?
 
La question des délocalisations est délicate pour l’Europe, où certains pays souhaitent les éviter (ceux d’Europe continentale qui souffrent du chômage de masse de leurs actifs non qualifiés) tandis que d’autres souhaitent les attirer (les nouveaux membres).
 
Le souci de la cohésion européenne est contradictoire avec celui de chaque pays de maintenir sa propre cohésion nationale.
 
L’exigence d’une concurrence « libre et non faussée » entre en conflit avec le désir de certains pays d’aider leurs secteurs en difficulté et leurs secteurs innovants. Enfin, le lobbying des secteurs innovants et exportateurs, les différences d’intérêt entre pays peuvent empêcher l’Europe de mener une politique commerciale extérieure active contre le dumping des pays tiers.
 
Pour éviter le scénario de dumping social, salarial et fiscal, une stratégie commune devrait être adoptée à l’échelle européenne. Les autorités européennes devraient lancer une réflexion sur l’avenir des activités productives et de l’emploi industriel en Europe ; diminuer le poids de la politique de la concurrence pour promouvoir une politique industrielle européenne dans le cadre de la stratégie de Lisbonne ; avoir une politique commerciale extérieure plus active.
 
Le point délicat est que cette stratégie commune doit, en grande partie, être conduite au niveau des pays. Les États ne sont pas prêts à abandonner leurs prérogatives aux instances communautaires car il ne leur est pas indifférent que les centres de production, de recherche ou d’enseignement se développent chez eux ou dans un autre pays européen. Il faut donc que les règles communautaires soient modifiées, que soient définis des secteurs menacés par les délocalisations, où des aides nationales spécifiques pourront être fournies, que les aides à l’innovation et au développement industriel soient plus largement autorisées.
 
Si la convergence fiscale n’est pas possible actuellement, l’harmonisation fiscale devrait progresser. En matière d’impôt sur les sociétés, le principe d’imposition à la source doit être réaffirmé : chaque pays peut pratiquer le taux de son choix sur les profits réalisés sur son territoire (mais pas sur les profits réalisés dans un autre pays). Des taux minimum devraient être mis en place, dépendant du niveau de développement.
 
Les politiques d’innovation, d’aide à l’industrie, de soutien à l’emploi non qualifié prennent place dans une période de restructuration, donc de destruction créatrice. Aussi, doivent elles s’inscrire dans une stratégie globale qui inclut les politiques budgétaires et monétaires dont l’enjeu est de promouvoir la croissance, source d’une stabilité future et non l’inverse. Ainsi, l’Europe a-t-elle besoin d’un euro plus faible, comme l’ont montré les années 1997-2000. Elle a aussi besoin d’une croissance plus forte de sa demande intérieure puisque les réallocations se font beaucoup plus facilement dans une économie dynamique.»
 
PDF 4 pages de l’article dans son intégralité, source OFCE./ Sciences Po.
Si vous allez sur ce site, profitez en pour jeter un coup d’œil sur l’indicateur avancé France et Zone Euro.
 

Publié dans Economie

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